Quel est l’objectif de l’entreprise ? Quand est-elle en forme ?
Au commencement d’une entreprise, il y a une idée, parfois visionnaire. L’entreprise est créée pour faire prospérer cette idée, la développer, lui faire rencontrer…
Il n’en reste pas moins qu’une entreprise a, ne serait-ce que pour faire prospérer l’idée visionnaire, un seul objectif : générer de l’argent. Une fois l’argent généré viendra la question de son utilisation et/ou de sa répartition.
Une entreprise en forme est une entreprise qui atteint cet objectif de façon pérenne. Au-delà de l’idée visionnaire, l’entreprise a :
- une vision, elle connait son marché. Vision prospective, elle imagine comment son marché va évoluer ;
- une mission, elle sait la place qu’elle vise sur ce marché, le rôle qu’elle peut y jouer ;
- une efficacité, son mode de fonctionnement (organisation, gestion information…) lui permet de gagner de l’argent sur la durée.
A quoi reconnait-on une entreprise dans l’ornière ?
Si l’entreprise en forme a une vision prospective de son marché, connait le rôle qu’elle a pour mission de jouer sur ce marché, et que son efficacité lui permet de gagner de l’argent sur la durée, elle suit le chemin qu’elle a tracé. Quand ce n’est plus le cas, elle commence à être dans une profonde ornière.
Ornière : trace plus ou moins profonde que les roues des voitures creusent dans les chemins.
Si le mot difficulté est un mot noir, bien défini par la réglementation, porteur d’une connotation morale, le mot ornière est un mot gris. L’ornière est rassurante, le signe qu’on est sur le bon chemin, ou en tout cas sur un chemin fréquenté. L’ornière est sécurisante, elle guide les roues, évite de tomber dans le fossé. L’ornière, au fond, est la norme, l’entreprise qui passerait son temps à explorer des domaines inconnus sans jamais prendre le temps de les exploiter n’existe pas. Mais l’ornière est insidieuse. Quand le chemin n’est pas bien entretenu, l’ornière se creuse, le châssis commence à frotter, il devient délicat d’en sortir. Qu’il vienne à pleuvoir, on s’y embourbe.
Certains signes montrent qu’un chemin manque d’entretien. Ils sont plus ou moins précoces, semblent parfois positifs. De la même façon, certains signes montrent que l’ornière se creuse pour l’entreprise. Ils peuvent être précoces ou tardifs, objectifs ou subjectifs, clairs ou ambigus. Aucun d’entre eux n’est forcément dramatique, et chacun est plus ou moins gradué.
Des signes objectifs ? l’entreprise est régulièrement en perte ; le CA est en baisse régulière ; la trésorerie est en baisse ; le bas de la pyramide des âges/anciennetés est rétréci.
Des signes subjectifs ? le dirigeant délègue de moins en moins ; la direction ne communique pas sur la situation ; l’entreprise est déconnectée des évolutions du marché ; l’entreprise n’investit pas dans l’amélioration de sa performance.
Les signes objectifs
Les pertes régulières
C’est l’indicateur le plus objectif, mais aussi le plus tardif, et celui dont la prise de conscience est la plus lente. Pertes annuelles régulières communiquées à l’AG de l’année suivante, un plan d’action moins efficace que prévu, trois à quatre ans peuvent s’écouler avant que le constat soit fait.
Un bon indicateur ? la comparaison sur 12 mois glissants.
Le CA en baisse
Les sociétés qui n’ont pas l’œil rivé sur le CA sont rares… et celles dans lesquelles il n’y a pas d’explication à la baisse du CA d’un mois à l’autre ou par rapport au même mois de l’année précédente aussi. Morosité de la conjoncture, contexte politique, commandes reportées… les revues mensuelles se suivent et se ressemblent.
La baisse d’activité a un effet anesthésiant, le BFR diminue, avec l’effet retard des encaissements, la trésorerie semble s’améliorer et permet plus ou moins de financer quelques mesures ponctuelles de réductions des coûts.
Un levier efficace ? la comparaison sur douze mois glissants.
La trésorerie en baisse
La trésorerie est le juge de paix ultime. Son amélioration durable est le signe d’une croissance maitrisée. Sa dégradation le signe que l’ornière se creuse. Et une saine gestion veut que l’excédent soit utilisé.
On gardera un œil attentif au niveau d’investissement annuel et aux allongements des délais de paiements, deux moyens de conserver une trésorerie positive.
La pyramide des âges
La pyramide des anciennetés est l’indicateur objectif le plus avancé du creusement de l’ornière. Comme l’herbe qui pousse entre les voix est le signe que plus personne ne roule hors des traces, que leur creusement va s’accélérer.
Une entreprise a besoin de sang neuf, d’idées neuves. De faire évoluer sa connaissance, de la transmettre. Faute de quoi elle se met à tourner autour des mêmes idées. Une entreprise doit être fière des beaux postes que prennent ceux qui en partent.
La pyramide idéale a la forme d’un tronc de cône, avec une base plus large que le sommet. S’il y a un pincement significatif, c’est que l’entreprise ne sait pas attirer ou retenir de nouvelles compétences, souvent parce que la connaissance n’est pas partagée.
La société ne sait pas retenir de nouveaux talents. Sans apport de sang neuf, elle ne sera pas alimentée en idées nouvelles, et la connaissance accumulée ne sera pas transmise. | La société est un vivier de nouveaux talents. La valeur des hommes et des femmes qui y ont été employés est reconnue, elle peut compter sur le réseau qui s’est constitué. |
Les signes subjectifs
Plus le temps passe, moins le dirigeant délègue
Quand un membre de la direction quitte l’entreprise, le dirigeant peut le saisir comme une chance. La chance de faire venir une ressource externe, qui apportera un point de vue différent et des idées neuves, ou la chance de faire évoluer une ressource interne.
Parce qu’il manque de confiance, ou parce qu’il pense pouvoir (veut) tout faire lui-même, le dirigeant peut aussi ne pas déléguer, et concentrer entre ses mains un ensemble plus grand de fonctions.
L’ornière se creuse en ce que trois risques augmentent :
- le dirigeant peut s’épuiser et disparaitre brutalement, objet d’un burn out, une dépression, ou un problème de santé plus grave ;
- le dirigeant a une capacité limitée de concentration sur certains sujets. Non suivis, les autres sujets se retrouveront en roue libre, et leurs divergences ne seront pas détectées ;
- la vision du dirigeant et de la direction s’étiole, elle se concentre sur les éléments connus et détecte tardivement les évolutions de son marché.
L’entreprise perd ses repères marché
Une entreprise a une curiosité. Grace à cette curiosité, elle a perçu l’existence d’un marché, elle a défini les produits et/ou les services qui lui ont permis de prendre une place sur le marché.
Avec le temps cette curiosité peut devenir une certitude, après tout les commandes sont là, les profits sont là, les clients sont fidèles. L’entreprise ne voit pas arriver les ruptures technologiques, elle n’anticipe pas que les façons de faire peuvent évoluer. En conséquence son positionnement, ses produits, ses services n’évoluent pas.
Pourtant, quelque part dans l’entreprise, quelqu’un le sait. Si l’entreprise est grosse, la rupture technologique peut même naître en son sein, n’oublions pas que l’inventeur de l’appareil photo numérique est Kodak, que l’inventeur de l’ordinateur personnel est Rank Xerox.
La direction ne communique pas
Enfonçons une porte ouverte : la communication est un élément essentiel dans le fonctionnement d’une entreprise. C’est elle qui permet à la stratégie d’être connue et partagée, aux problèmes de remonter, aux chiffres de circuler.
Quand elle ne fonctionne pas, l’information ne circule plus que sous la forme du reporting et des revues, avec un double effet négatif :
- le reporting traduit les centres d’intérêt de celui à qui il est destiné, et on ne trouve dans le reporting… que ce qui y a été mis,
- le reporting a un effet retard :
- Période N+1 : la période N est examinée.
- Période N+2 : la tendance négative est identifiée
- Période N+3 : un plan d’action est présenté et lancé
- Période N+4 : le plan d’action n’a pas encore porté ses fruits
- Période N+5 : le plan d’action est rectifié
- Période N+6 : La période N est examinée en période N+1, en période N+2 la tendance négative est identifiée,
- ….
Les évolutions du marché ne sont plus partagées, l’ornière se creuse.
L’entreprise n’investit plus dans l’amélioration de sa performance opérationnelle
Le process de production des produits et services de l’entreprise est un mix d’organisation, de processus et d’outils. Leur amélioration est un devoir permanent de l’entreprise, qu’elle soit proactive ou réactive en la matière.
Quand l’entreprise n’investit pas dans cette amélioration, quand les hommes et les femmes de l’entreprise pensent faute ou responsabilité au lieu de rechercher causes et solutions, l’ornière se creuse.
A quels éléments être attentifs pour savoir si l’ornière se creuse ?
L’ornière, quand elle marque un chemin, n’est pas un problème. C’est quand elle se creuse que la situation va se dégrader. Y être attentif ne garantira jamais qu’on pourra aller au-delà du passage difficile… mais permet d’être raisonnablement sûr qu’on ira plus loin que les autres… sans s’affoler au premier frottement.
De la même façon, il n’y a pas de signe magique permettant d’anticiper l’existence d’une zone de risque.
Inclure dans les reporting un graphique présentant CA, marge, trésorerie, résultat et niveau d’investissement sur 12 mois glissants, et ce mois par mois sur les 36 derniers mois, est un outil visuel utile qui permet de se poser les bonnes questions.
Gardez un œil sur la pyramide des âges (globale, management, direction). Un pincement est toujours signe d’un problème, éventuellement résolu.