L’hypercroissance, un déséquilibre instable et sensible
Selon les sources, on trouve plusieurs définitions, un mix de CA (> 10 M€), de croissance annuelle (> 10 %, >20 %, > 30%) sur plusieurs années successives (3,5). C’est un bestiaire, avec ses Gazelles, ses Girafes… et ses Licornes.
Derrière l’hypercroissance, il y a un marché qui évolue rapidement, et une course, celles des entreprises qui visent la première place plutôt que leur rentabilité immédiate, avec la conviction que la première place de demain fera les profits d’après-demain. La croissance du CA va de pair avec l’augmentation du BFR. On parlera de croissance équilibrée quand l’activité propre de l’entreprise lui apporte les moyens de financer l’accroissement de son activité, d’hypercroissance quand ce n’est pas le cas.
En phase d’hypercroissance, la demande est là. Il faut aller la chercher, et l’exécuter. Le pilotage de l’entreprise s’appuie sur trois éléments forts :
- la gestion des ressources (les hommes, l’infrastructure, les composants),
- la gestion du cash et des levées de fonds
- la planification fine de l’engagement des ressources en fonction du cash accessible.
Une entreprise en croissance est comme un homme qui marche : dans un état de déséquilibre permanent plutôt stable. Une entreprise en phase d’hypercroissance est comme un enfant qui court : le déséquilibre est plus important, et très sensible à la déstabilisation; son Chiffre d’Affaires est en forte hausse, son résultat n’est pas le plus important, le besoin d’argent frais est permanent.
Dans les conditions de marché actuelles, les concours bancaires ne sont pas suffisants pour assurer le financement de l’augmentation du BFR. Une part importante de l’énergie des dirigeants est consacrée à aux levées de fonds successives, et à la surveillance de la bonne exécution du plan de marche décrit dans les covenants.
Hypercroissance, quand l’entreprise trébuche
Quand le plan de marche n’est pas respecté, les raisons sont souvent multiples : positionnement sur le marché, positionnement prix, communication, manque de ressources ou de capacité. L’impact sur le cash est immédiat : pas de commandes, pas de factures, pas de paiement… Le plan de marche n’est pas respecté, et les levées de fonds sont retardées.
Les entreprises en phase d’hypercroissance ont une caractéristique commune avec les entreprises prêtes à affronter la crise : l’œil rivé sur le cash. Elles divergent sur l’existence de réserves mobilisables rapidement. L’alignement des intérêts entre l’actionnaire, la direction et l’encadrement est questionnable.
Quand le plan de marche n’est pas respecté, l’entreprise a plusieurs niveaux d’action pour rester dans la course à la première place :
- retrouver le niveau de CA en agissant sur son positionnement marché et sa communication, ce qui augmentera la consommation de cash,
- rétablir la capacité de production, ce qui augmente la consommation de cash.
Si rester dans la course à la première place n’est plus une option, la stratégie de l’entreprise peut évoluer vers le maintien de sa pérennité à court et moyen terme, au prix du désalignement des intérêts de l’entreprise et de son actionnariat. Dans cette situation, elle peut :
- adapter ses politique de communication, de recrutement de nouveaux clients et de fixation du niveau de prix pour que la demande n’excède pas sa capacité de production,
- aligner son rythme de croissance sur le cash disponible.
Dans tous les cas, elle peut envisager le mode de fonctionnement d’une entreprise en difficulté pour se ménager l’espace de temps nécessaire à la conclusion d’une nouvelle levée de fonds.
Hypercroissance et Dirigeant de Crise
Le mode de fonctionnement d’une entreprise en phase d’hypercroissance est un déséquilibre instable en régime permanent. Elle est sensible à chaque variation de l’environnement, et l’effet de chaque variation de l’environnement est amplifié. Chacun a à l’esprit l’importance du cash. Chaque fois qu’elle franchit un niveau d’activité, elle adapte son organisation, modifie son process. Le changement est son quotidien.
Pour franchir certains caps, l’intégration dans l’équipe dirigeante d’un Dirigeant de Crise, parce qu’il est habitué à conduire des changements plus violents, et parce qu’il quittera ensuite l’entreprise en en emportant le souvenir, est parfois justifiée (voir ci-après le cas Secmet).
Pour une entreprise en phase d’hypercroissance, un administrateur indépendant au profil de Dirigeant de Crise apporte ses réflexes, ses questions obsessionnelles : comment, combien, et si on n’est pas dans la plaque… En cas de non réalisation du plan de marche, il est proche du Dirigeant, et la confiance est installée. Il lui apporte ses réflexes, participe à sa réflexion selon deux axes : comment gagner du temps pour assurer la prochaine levée de fonds; que et comment faire si la levée de fonds ne se réalise pas (voir ci-après le cas Iskuryo).
Le cas Secmet : relance d’une SSII en crise de croissance
Secmet est une SSII qui déploie trois activités principales :
- la distribution de logiciels et de matériels tiers,
- l’édition et l’installation de logiciels propres,
- les services autour de l’infrastructure des systèmes d’information.
Son implantation est nationale, et elle réalise un CA de 130 M€. Sa croissance sur les exercices N-4, N-3 et N-2 était de 20 % par an, avec un résultat net de 2% conforme aux standards de son activité. Le CA de l’exercice N-1 est légèrement inférieur à celui de l’exercice N-2, et le résultat net négatif.
La direction de Secmet intègre au début de l’année N un Dirigeant de Crise, et lui donne la mission de relancer son activité. Une fois le diagnostique réalisé, et les conclusions acceptées, le Dirigeant de Crise conduit un plan de transformation profonde :
- Stabiliser les modes de fonctionnement :
Les processus des différents métiers de l’entreprise sont décrits, formalisés et imposés. Le fonctionnement est industrialisé et tracé, il peut entrer en mode amélioration permanente.
- Penser comme pensent nos clients
Pour des raisons historiques, chaque entité commerciale vend une des activités de Secmet, la fertilisation croisée n’est pas culturelle. L’organisation commerciale est refondue en fonction du métier des clients, et chaque entité nouvelle dispose de toutes les compétences nécessaires sur tous les métiers de Secmet.
- L’objectif, c’est l’objectif
Depuis sa création, Secmet rémunère ses commerciaux proportionnellement au Chiffre d’Affaires réalisé, et à la prise de la commande.
Les plans de commissionnement sont transformés pour être assis sur la marge brute et au règlement des factures. Ils intègrent globalement la contrainte d’un Fond de Roulement limité : pour optimiser l’utilisation des moyens mis en œuvre, les commissions versées ne sont plus proportionnelles, elles avantagent la réalisation à +/- 15 % de l’objectif annuel.
Ce dernier point est bien sûr celui qui a engendré le plus de turbulences. C’est aussi celui qui a permis de relancer l’activité de façon contrôlée, et à Secmet de retrouver une croissance rentable (N+1 : + 10 %; N+2 : + 35%)
Le cas Iskuryo : paramédical et hypercroissance stoppée
Iskuryo est une société BtoC et BtoBtoC qui conçoit, produit et distribue des articles paramédicaux grand public. Elle exploite en propre quelques points de vente, dans lesquels elle assure des services associés à ses produits. La société a 7 ans. Son CA est de 10 M€, et sa croissance régulière de 10-15 % par an. Au début de l’année N-1, et au moyen d’une dette bancaire, son fondateur a racheté les parts des actionnaires qui l’avaient accompagné à la création, il cherche maintenant à lever des fonds pour accompagner sa croissance.
A la fin de l’année N-1, le pays dans lequel est implanté Iskuryo a connu d’importants mouvements sociaux qui ont perturbé l’activité de fin d’année, qui représente globalement 35 % du CA annuel. La situation d’Iskuryo au début de l’année N est la suivante :
- le niveau de stocks est important,
- le résultat de l’année N-1 est négatif,
- le plan de marche présenté aux investisseurs potentiels n’est pas respecté.
La trésorerie diminue, et l’entreprise commence à tirer sur les délais de paiement de ses fournisseurs. Les compétences multiples du conseil d’administration d’Iskuryo sont alertées à la fin du premier trimestre de l’année N, parmi lesquelles un Dirigeant de Crise qui, parce qu’il connait l’activité de la société et a la confiance du fondateur, va l’assister et le guider dans la définition et la mise en œuvre d’un plan d’action :
- Etape 1 : le temps, c’est de l’argent
En s’inscrivant dans le cadre d’une démarche de prévention, Iskuryo évite la cessation des paiements et obtient de ses créanciers (banques, fournisseurs) le temps nécessaire à la poursuite de la levée de fonds
- Etape 2 : être prêt pour la paix, être prêt pour la guerre
Deux stratégies sont définies, l’une pour améliorer les chances de réussite de la levée de fonds, l’autre pour anticiper son échec.
Côté levée de fonds, le fondateur focalise son énergie sur certains fonds seulement, et intègre dans la recherche les industriels et concurrents potentiellement intéressés par ses gammes de produits et/ou pouvant lui apporter leur réseau commercial.
Côté autonomie, le fondateur définit les contours de la restructuration de l’entreprise qui lui permet d’en assurer la pérennité le temps de retrouver sa santé financière, et plus tard de relancer sa croissance.
- Etape 3 : savoir quand appuyer sur le bouton
En fonction de la prévision affinée de trésorerie, du contour de l’entreprise minimale autonome, et de l’impact d’une procédure collective, le fondateur sait dès la fin du deuxième trimestre à quelle date il doit lancer sa restructuration vers l’entreprise minimale pour qu’elle puisse aboutir sans perdre le contrôle de sa société. Il sait aussi que s’il attend au-delà de cette date qu’un hypothétique investisseur intervienne, il perdra le contrôle de sa société, et que les cautions qu’il a données seront actionnées.
Iskuryo a réussi à s’adosser à un actionnaire industriel. Le fondateur est maintenant minoritaire, ses cautions bancaires ont été levées. L’un apporte ses moyens financiers et industriels, et son réseau commercial sur les pays francophones ; l’autre apporte des produits pointus, et l’image qu’il a bâtie en Asie et aux USA. La croissance peut reprendre.